mardi 6 janvier 2015
DES VOILIERS SONT VENUS ...
ODE À LA POLYNÉSIE
DES VOILIERS SONT VENUS ...
Que les vents nous soient propices et la vague
Que le ciel nous soit sans voile
Les astres bien visibles
Je dirai l'aventure
de celui qui le premier lança la pirogue dans la
passe
au-delà du récif
Pirogue de bois cousu
et creusée au feu
Mais que l'on préserve l'homme de mémoire
Celui qui sait les chemins au miroir
de la mer
Celui qui sait les îles
les tortues
les grands poissons pélagiques
pour l'hameçon de nacre
Que l'on préserve celui-là car il sait la famille
les offrandes propiciatoires
aux tables de pierre
Il sait le mot
Il sait le chiffre
Mais s'il faillit
qu'on le pousse au ravin
et puis qu'on le lapide
Que son fils à son tour nous récite les chemins
pour la pirogue double
Que les vents nous soient propices et la vague
Que le ciel nous soit sans voile
les astres bien visibles
Conditions pour nos longs périples par voies
maritimes
d'une extrémité à l'autre
et vers les deux continents
Écaille de tortue
et l'espadon couché sur le flanc
L'eau des noix pour nos soifs
leur amande pour nos faims
J'ai chanté l'aventure
de celui qui le premier lança la pirogue dans la
passe
au-delà du récif
Que l'on préserve l'homme de mémoire
Celui qui sait les chemins au miroir de la Mer
Je dirai les découvreurs
chargés de l'inventaire
venant sur leurs navires aux longues antennes
Hommes très calmes veillant l'horloge et veillant
l'aimant
Et c'est toujours de l'homme qu'il s'agit et ceci
d'où qu'il vienne
Voiles tendues de ferveur
Navires de grands capitaines
enregistreurs de songes et de merveilles
et leurs suites de toutes sortes
de manipulateurs d'instruments d'optique
d'oiseleurs piégeant la comète au miroir
descripteurs de plantes épiphytes
transcripteurs de mythes et de légendes
décrypteurs de masques et de pétroglyphes
Leurs équipages étaient gens de peu d'aloi
marqués par le sel
hommes à l'haleine forte d'ail et de tafia
joueurs de dès sentant le suint
et vifs à l'éclair de la lame
Plusieurs disparurent aux resserrements des
détroits
Au plus profond des ans
Et c'est matière encore à suspiscion
J'ai chanté les découvreurs
Chargés de l'inventaire
Vieil augure à la sphère
sous le nid du corbeau
La Mer est sulfure de cristal
Corymbes
Les fleurs sont d'acier
Paillettes
Verreries de Venise
et la lune y coule son tain
La hulotte est au hunier
guettant les iridescences
L'étoile est présage
et la lueur nous est prémice pour faire valoir
aux tables de la Mer
nos droits de préciput
nos titres de préemption
Héritage
Vieil augure à la table des cartes
dessinant la précession au plan de l'écliptique
au parchemin du planisphère
Où le stigmate de la pointe ?
Voiles tendues de ferveur
Navires de grands capitaines
Je dirai ceux du Livre
et ceux de la Parole
Hommes sans épouses et de peu de bagages
main en supination
Leurs équipages levèrent les avirons vers le ciel
Leurs bouches étaient sanglantes
Ils avaient la carie aux dents
La chaloupe fut au récif
portée par la septième vague
celle qui monte aux murailles
Puis le corail s'égoutte
et rend ses perles à la Mer
Hommes de grandes fumigations à la myrrhe
et à l'encens
de proclamations
de fustigations
Hommes du Verbe
Hommes de grande foi
de courage
de règles et de lois
Organisateurs de fabriques
de chorales et de choeurs à l'unisson
Préconisant la taille de la pierre
et montreurs d'images de lanternes magiques
Les accompagnaient les maîtres de l'alphabet et du
calame
maîtres de la grammaire et du mot
divulgateurs de secrets
renverseurs de symboles
J'ai chanté ceux du Livre
et ceux de la Parole
Ô Mer !
Mer de pervenches et de bleuets de jacinthes
d'asphodèles
Mer de cétoines de carabes propiciatoires
de paradisiers colibris héliantes sifilets
de papillons crésus et cypris
Mer d'antilopes et de cavales par grandes hordes
Mer de grandes farandoles
Mer de cantiques aux grandes orgues
Mer des grandes brises aux noeuds de
Mercator
Mer de béryls
Mer de corindons
Ô Mer !
de malachites et de saphirs
Ostensions aux îles du ponant !
Nous eûmes hautes prémonitions
La chaloupe fut au récif
portée par la septième vague
Je dirai les marchands
habiles à l'estime et à la pesée
Leurs servants roulaient fûts de châtaignier
débardeurs de caisses et de sacs
certains tenant flacons d'eau régale
Transbordeurs d'équipages et de main d'oeuvre de
grande transhumance
Pourvoyeurs de fers et de clous à tête plate
dérouleurs de coupons
dévideurs de câbles et de chaînes
Marchands suputateurs de sucre et d'épices
de pierres et de métaux rares
Leurs marins sentaient le lard et la fève et
le pois
Hautes circumnavigations par voies
loxodromiques
Longues errances d'une rade à un abri
quête de fruits
d'eau de sources et de cascades
Nous trouvâmes aux grottes pierres éclatées
os fendus
momies enduites de goudron
Nous scellâmes nos plaques
relevâmes les stèles
Grand récitant d'arbres généalogiques
le natif avait perdu le chiffre
et le mot
J'ai chanté les marchands
habiles à l'estime et à la pesée
Avant
Bien avant
C'était avant le temps de nos pères
D'autres s'assirent sous la palme
Rangèrent feuilles et poudres sous les hangars
placèrent vigies
préservant leurs ports et leurs temples
tribunaux
magasins
Hommes de grandes chartes et d'actes notariés
Hommes d'achat
Hommes de troc
Hommes de bornages et de clôtures
Vallées de grandes semailles
Labours prédateurs et prémisses sans conclusions
Océan de futurs et de présents pérennes
d'irisation aux essences d'orient
Océan de nacre
d'écailles et de plumes rouges
Arabesques de courbe et de volutes
Roses et rosaces
Tapis de chantoung
de brocart
de damas
Tapis pour le fils de Roi portant châsse
Longues errances d'une rade à un abri
Quête de fruits
d'eau de sources et de cascades
Et le dieu réside sous le dais
aux cathédrales de verre et de lumière
Que nul ne réclame
Que l'on se taise et remercie
Senteurs d'encens et de myrrhe étirées par le vent
La rosace est à nos pieds
La voûte est immense
Tapisseries aux absidioles
et l'ombre s'accroche à l'ogive
Coeur trop plein d'amour
et l'aiguille sur son axe
et qui va
Je dirai encore
et qu'en savez-vous ?
qui prétendez que je mens
Celui qui me dénoncera
Quel est aux tables de l'homme
son droit d'interdit sur le rêve et sur Eden
Ce droit qu'il nous le dise
Ou bien qu'on le saisisse
qu'on le bouline sous la quille
trois fois
dans une gloire de pièces de huit
et de doublons
Qu'on le pende aussitôt
juste sous les pieds du veilleur au nid du
corbeau
Qu'il serve d'exemple aux oiseaux noirs des
harpies
suiveurs sinistres des grands vaisseaux
Coeur trop plein d'amour
et l'aiguille sur son axe
et qui va
Je dirai le poète dans sa barque
Bouche close
Il a taillé la voile dans la chlamide et dans la toge
et suivi sur l'Océan les ombres mauves ou violettes
les sternes par couples et les mouettes
tridactyles
Il s'abreuve à l'eau du ciel
Longues errances
Très longues errances au bout des silences
La vague est d'argent
Le chant est chant de sirènes
Longues très longues errances
Le vent est portant au îles d'os et de sable
Îles de velours aux passements d'amarante
Îles encore
basses ocellées recelant rosaces aux lagons
La Mer est chasuble
L'étole est brodée d'or et d'argent
Le poète vint seul aux îles éparpillées
Que les vents lui soient favorables
et les plages de bon accueil
Chercheur d'amitiés
Chercheur de reflets
Compositeur de musiques dithyrambes
Son visage étincelle aux cristaux du sel
Hommes de longues contemplations
de longues méditations
Homme de grande route et dormant aux parvis
Homme de vastes communications
ésotériques
de célébrations dans
la pierre et dans le bois
J'ai chanté le poète dans sa barque
Il vint seul aux îles éparpillées
Mer
Ô Mer !
Océan des jours et des nuits
Océan des sombres pupilles et des flots halogènes
Voyages sans mouillages
ni hâvres
ni ports
Quels esprits guidaient nos proues ?
Et la vague offrait son ventre
et sa hanche
et son flanc
Nos douces épouses et leur tiède haleine
Mais de quelles pluies d'étoiles notre profit
de quels soleils ?
La vague est d'argent
Le chant est chant de sirènes
Je dirai le politique
sorti très vite des chambres du Maître du calame
Homme habile au décryptage des triangles d'oies
sauvages
Homme de grandes visions
Grand imaginateur de routes et de tours
Traçant fondations et charpentes
avenues et lotissements pour la
préservation des espèces
chemins pour l'entraînement des chevaux-
vapeur et des cliques militaires
Assécheur de ruisseaux à pépites
Gestionnaire de cordons littoraux
de sentes et de pentes
Piégeur sachant placer l'appât
Il est entouré d'hommes à bésicles
et de femmes à hiéroglyphes
toisant soupesant
promenant compas et théodolite
J'ai chanté le politique
sorti très vite des chambres du Maître du calame
Mais le fils du marin fait siffler la fronde
Ah qu'on nous laisse
Nous laissera-t-on ?
Célébration aux sillages du quartz et du cristal
Célébration aux versants de velours
Célébration aux jardins du corail
Qu'on nous laisse notre apanage
Cette vie multiple aux éclats de l'écaille
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